Le tournant de l’été 1942

L’année 1942 marque le début de la mise en œuvre de la « Solution finale » à l’échelle européenne. Le 27 mars, un premier convoi de déportés juifs quitte la France pour Auschwitz. Soixante-treize autres suivront par la suite, la plupart pour cette même destination.

Reinhard Heydrich se rend à Paris le 5 mai 1942 afin d’installer le général SS Karl Oberg comme chef de la SS et de la police en France et lancer la préparation des déportations massives. Adolf Eichmann, le chef de la section antijuive du RSHA, se déplace à son tour le 30 juin. Entre-temps, le 29 mai, une ordonnance allemande rend obligatoire, en France, en Belgique et aux Pays-Bas, le port de l’étoile jaune pour les Juifs dès l’âge de 7 ans. Elle entre en vigueur le 7 juin. Peu après, l’accès à la plupart des lieux publics est interdit aux Juifs. L’exclusion se renforce.

Malgré le nombre élevé de personnes arrêtées lors de la rafle organisée à Paris et en région parisienne les 16 et 17 juillet 1942, le quota de Juifs à déporter fixé par les Allemands et les représentants du gouvernement de Vichy lors de négociations n’est pas atteint. Pour y parvenir, l’État français se tourne vers les camps d’internement de la zone libre. Ceux-ci constituent un vivier dans lequel il puise à partir de la rafle du 26 août 1942. Ainsi, parmi les 10 000 Juifs livrés au Reich en août-septembre 1942, figurent en majorité des apatrides et des étrangers provenant de ces camps. Les autres sont raflés dans les départements du sud de la France.

Début juin, Oberg entame des négociations avec les autorités françaises sur l’organisation et les conditions de mise en œuvre de l’arrestation, du transfert et de la déportation des Juifs de France aboutissant à la signature d’un accord officiel avec René Bousquet, secrétaire d’État à la Police de Vichy représentant le gouvernement, le 2 juillet 1942. Ce document valide la participation des forces de l’ordre françaises aux arrestations de Juifs, le nombre des Juifs à arrêter et à livrer, les critères d’arrestation, le transfert de Juifs depuis la zone libre en vue de leur déportation. Le nombre est fixé à 100.000 personnes pour l’année 1942. Sur la proposition de Pierre Laval, la déportation des enfants de moins de 16 ans est en outre acceptée par Berlin et appliquée en août.

 

Une réaction indignée d’une partie de l’opinion publique

À cette date, le gouvernement s’efforce encore de conserver le contrôle des mesures prises envers les Juifs français, tout en acceptant que les enfants nés en France de parents étrangers soient déportés.

Plus de la moitié des Juifs déportés de France la été au cours du deuxième semestre 1942.

Les grandes rafles de l’été 1942 concernent pour la première fois des familles entières. Elles suscitent une réaction indignée dans une partie de l’opinion publique, jusqu’alors peu sensible aux persécutions commises contre les Juifs. Ainsi, une partie de l’épiscopat français, plus particulièrement en zone libre, se manifeste. De hautes personnalités comme Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, Mgr Théas, évêque de Montauban, Mgr Delay, évêque de Marseille, le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, mais aussi le pasteur Marc Boegner, protestent contre l’arrestation, les mauvais traitements et la remise des Juifs à l’occupant. Des institutions religieuses, des couvents, participent à l’accueil sous de fausses identités d’enfants, notamment ceux dont les parents étrangers sont enfermés dans les camps d’internement ou sont déjà déportés. Dans le milieu rural, des initiatives individuelles et spontanées sont également prises.

Ces interventions et la désapprobation d’une fraction de la population ont un réel impact sur l’opinion publique.

Mais surtout, les Juifs prennent en charge leur propre sauvetage à travers les actions conduites par des organisations juives comme l’œuvre de secours aux enfants (OSE), parfois appuyées par des organisations non juives, pour la plupart caritatives et religieuses.

Cette résistance a revêtu divers aspects selon les circonstances et les lieux. Le rôle des femmes, souvent jeunes, est exemplaire, notamment dans le sauvetage des enfants qu’elles ont cachés ou fait passer en Suisse. La conjonction de toutes ces actions, juives et non juives, contribue grandement à la survie des trois quarts des Juifs de France ; un phénomène favorisé aussi par la géographie du territoire et les conditions de l’occupation du pays.

Par ailleurs, de nombreux Juifs de France s’engagent contre l’occupant au sein de la Résistance intérieure ou extérieure, suscitant également la création de mouvements spécifiques comme lOrganisation juive de Combat. Cet engagement des Juifs en résistance prend de multiples formes.

Repères

Pour la première fois en France, des femmes et des enfants sont raflés. Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 personnes dont 4 051 enfants de 2 à 16 ans sont arrêtés par la police française à Paris et en banlieue. Son engagement dans cette vaste opération résulte d’une décision du régime de Vichy.

Si cette rafle vise principalement les Juifs étrangers, la très grande majorité de leurs enfants sont de nationalité française, car nés en France.
Les célibataires et les couples sans enfant sont conduits directement à Drancy. Les familles, soit les deux-tiers des personnes arrêtées, sont regroupées dans des conditions déplorables au Vélodrome d’Hiver avant d’être transférées dans les camps du Loiret à Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Les adultes et les plus âgés des enfants sont déportés au cours des semaines suivantes.

 

Après la déportation des adultes, près de 3 000 enfants restent sans leurs parents, plongés dans une profonde détresse morale et matérielle.

Lorsqu’Adolf Eichmann répond positivement à la demande française de les déporter également, ils sont transférés dans des conditions effroyables à partir du 15 août à Drancy puis envoyés vers Auschwitz-Birkenau entre le 17 et le 28 août. Pour faire croire qu’ils partent vers l’Est avec leurs parents, ils sont mélangés dans les convois à des adultes en provenance de la zone non occupée. Aucun de ces enfants déportés n’a survécu.

Le sort de ces enfants constitue un des événements parmi les plus dramatiques de la persécution des Juifs de France.