La France vaincue
L’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939 déclenche la Seconde Guerre mondiale. Soutenant son allié, la France s’engage dans le conflit. Mais l’offensive des troupes du IIIe Reich en mai 1940 sur le front occidental défait les armées françaises. Le 22 juin 1940, la France vaincue signe une convention d’armistice avec le régime nazi. Ses conditions sont sévères. Elle prévoit notamment l’occupation de plus de la moitié de son territoire, l’annexion de l’Alsace-Moselle et le rattachement du Nord et du Pas-de-Calais au Commandement allemand de Bruxelles.
Une ligne de démarcation établit une séparation entre une partie occupée au nord et une zone dite « libre » au sud sous autorité française. La France doit en outre livrer tous les ressortissants allemands et autrichiens désignés par le gouvernement du Reich, internés dès septembre 1939.
En zone occupée, les autorités allemandes appliquent une législation antisémite, inspirée par les lois du Reich. L’ordonnance du 27 septembre 1940 énonce les critères d’appartenance à la religion juive et ordonne le recensement des personnes considérées comme telles. Il leur est interdit de quitter cette zone. Le processus de spoliation des entreprises et commerces juifs s’engage également. « Tout commerce, dont le propriétaire ou le détenteur est juif, devra être désigné comme ‘entreprise juive’ » par une affiche spéciale en langue allemande et française.
La politique antisémite de l’Etat français
La IIIe République cesse de fait d’exister le 10 juillet 1940 avec le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. La démocratie est remplacée par un régime autoritaire. Faisant figure d’homme providentiel, le chef de « l’État français », installé avec le gouvernement à Vichy, bénéficie alors du soutien massif de la population française traumatisée par la débâcle militaire et l’effondrement du pays. Appelé au gouvernement dès le 18 mai, Pétain avait rapidement exclu le principe de la capitulation et de la poursuite des combats, convaincu du caractère inéluctable de la défaite.
Le régime de Vichy entend mettre en œuvre une « Révolution nationale », devant se traduire par « l’assainissement » politique, social et moral de la nation. Substituant la devise « Travail, Famille, Patrie » à la formule républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », cet ordre nouveau se fonde sur une idéologie nationaliste, autoritaire, xénophobe et antisémite. Il applique d’emblée une politique d’exclusion à l’égard des individus jugés « nuisibles », au premier rang desquels les Juifs.
Le statut des Juifs en France sous le gouvernement de Vichy
Le gouvernement de Vichy, avec à sa tête Pierre Laval, promulgue ainsi précocement une suite de lois et de décrets à leur encontre, applicable en zone occupée comme en zone dite « libre ». Durant cette période, on comptera plus de 200 textes législatifs qu’il s’agisse d’ordonnances allemandes, de décrets ou de lois. Le 22 juillet 1940, le gouvernement de Vichy promulgue un décret-loi portant sur la révision des naturalisations établies depuis 1927. 15 000 personnes perdent la nationalité française, dont environ 8 000 Juifs, et deviennent apatrides.
De sa propre initiative, et sans pression nazie, l’État français adopte le 3 octobre une loi définissant le « statut des Juifs ». Celle-ci concerne les deux zones. Certains secteurs d’activité leur sont désormais interdits : la fonction publique, la presse et le cinéma notamment. Cette liste ne cessera de s’élargir décret après décret. Les Juifs d’Algérie, sont privés de la nationalité française, acquise depuis le décret Crémieux en 1871. Le 7 octobre 1940, ils deviennent des « indigènes des départements de l’Algérie ».
Repères
Bilan de la Shoah en France
En 1940, 300 à 330 000 Juifs vivent en France métropolitaine et 370 000 en Afrique du Nord. Parmi les premiers, 200 000 de nationalité étrangère et 130 000 de nationalité française. Près de la moitié vivent à Paris et dans les villes limitrophes. Sur les 80 000 victimes de la Shoah en France, 55 000 sont des Juifs étrangers et 25 000 des Juifs de nationalité française.
76 000, dont environ 11 400 enfants (2 000 de moins de 6 ans), ont été déportés, dont 69 000 à Auschwitz. Seuls 2 500 ont survécu.
3 000 sont morts dans les camps d’internement français.
1 000 sont exécutés ou abattus sommairement en France.
Nombre de déportés par année
1942 : 42 000 en 43 convois (vers Auschwitz-Birkenau)
1943 : 17 000 en 17 convois (13 vers Auschwitz-Birkenau, 4 vers Sobibor)
1944 : 15 000 en 14 convois (dont 12 vers Auschwitz-Birkenau, un vers la Lituanie et l’Estonie et un vers Buchenwald). Un millier de Juifs du nord de la France ont été déportés via la Belgique
Les camps d’internement en France
La loi du 4 octobre 1940 permet l’internement des « ressortissants étrangers de race juive » dans « des camps spéciaux », sur simple décision préfectorale. 40 000 Juifs étrangers sont ainsi internés dans des dizaines de camps, à Gurs (Pyrénées-Atlantiques) ou Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) notamment.
Le camp des Milles (Bouches-du-Rhône) devient à l’automne 1940 un camp de transit pour les internés en instance d’émigration. Ces camps avaient été créés pour la plupart sous le gouvernement Daladier à l’automne 1939. Il s’agissait alors d’une mesure d’exception à l’égard de milliers d’étrangers jugés alors « indésirables » : réfugiés allemands ou autrichiens considérés comme ressortissants de puissances ennemies, républicains espagnols, combattants des Brigades internationales. Conformément à la convention d’armistice, le IIIe Reich obtient le transfert des internés qu’il réclame.
À l’inverse, le 23 octobre 1940, le Reich déporte par familles entières plus de 6 000 Juifs allemands de la Sarre, du Bade-Wurtemberg et du Palatinat vers la France, que Vichy internent directement à Gurs.
Ces lieux d’internement se sont multipliés sous Vichy qui les placent au cœur de sa politique d’exclusion. Les conditions d’existence se révèlent difficiles (épidémies, cachexie.) ; il règne dans ces camps insalubres une mortalité conséquente. Environ 3 000 Juifs, en particulier des personnes âgées et des enfants en bas âge, y meurent entre 1939 et 1944.
Pour venir en aide à la population internée, des œuvres caritatives non juives (la CIMADE, l’YMCA, les Quakers, etc.) et juives (l’OSE, la HICEM …) créent des structures d’assistance sur le plan alimentaire, sanitaire, culturelle et juridique.
Photo : Internés posant devant la baraque n°5, camp de Pithiviers (Loiret). France, 04/1942
© Mémorial de la Shoah/ Diamant – David